Les chantiers participatifs au service du patrimoine sont aux réhabilitations ce que le « crowdfunding » est au financement. Hephata a interviewé l’association de Heritage Historique.
L’important à retenir dans cet article :
Pour HEPHATA, il s’agit une alternative intelligente aux solutions traditionnelles, qui repose sur le principe de la collaboration…
Héritage Historique est une association de passionnés d’histoire qui agit notamment au service de la reconstitution.
En découvrant le château de Châteauneuf-sur-Epte à l’abandon, l’association s’est engagée pour sa réhabilitation. Dans l’attente depuis 2,5 ans de lancer les travaux, l’association s’est structurée pour réaliser des chantiers participatifs et faire avancer les « petits travaux » (entretien, débroussaillage, consolidations de murs…).
Que faut-il savoir avant de se lancer dans un chantier participatif bénévole ?
Pour les propriétaires, organiser des chantiers bénévoles est en réalité plus compliqué qu’il n’y paraît. Généralement, il s’agit de commencer par constituer un groupe composé de notre cercle d’amis. Puis, cela se complexifie.
Une énergie importante est alors requise afin de former les nouveaux bénévoles et de les écouter. En particulier, il devient nécessaire d’apprendre à concilier nos façons de faire avec celles des volontaires – notamment ceux qui ont déjà accumulés des compétences – et à accepter de « partager votre projet ».
Du côté de l’association, cela n’a pas été trop difficile de partager le projet. Dès le début, nous souhaitions que « le château appartienne à tout le monde » ! Mais, il en faut du temps pour qu’un projet lancé par quelqu’un devienne une entreprise commune à de nombreux participants ! Il en faut du temps pour créer un projet porteur de sens pour tous les bénévoles à long terme…
Comment solliciter des bénévoles la première fois ?
Deux points essentiels pour solliciter les bénévoles : l’intérêt et la confiance.
Pour la confiance, cela commence par le bouche-à-oreille auprès des personnes que nous connaissons, notre « 1er cercle ». Puis, la famille et les cercles d’amis vont en parler autour d’eux. C’est le passage au « 2ème cercle ». Pour résumer, les cercles se répartissent comme suit :
– le « premier cercle », correspond à la famille, les amis,
– le « deuxième cercle », correspond aux amis d’amis, les connaissances,
– le « troisième cercle », correspond aux « inconnus » touchés par le bouche à oreille, la communication sur internet ou sur place.
Et puis, pour susciter l’intérêt, il faut communiquer !
Bien sûr, de la publicité sur le site est nécessaire pour toucher le « 3ème cercle », c’est-à-dire, les personnes avec qui nous n’avons, a priori, aucun lien.
Un simple affichage permet d’attirer du monde. Mais attention, sur 1000 personnes touchées, seulement 3 ou 4 personnes seront réellement intéressées ; et parmi elles, 1 seule s’engagera à long terme !
L’intérêt des personnes volontaires variera généralement selon la période de l’année et le type de travaux engagé. Bien que la forteresse soit magnifique et qu’elle puisse se targuer de 1000 ans d’histoire, ce n’est pas évident de susciter l’intérêt, en particulier l’hiver… !
Aussi, si nous arrivons à faire parler les personnes du château et du projet à leur entourage, de potentiels bénévoles et professionnels auront-ils envie de venir une première fois. Charmés par le lieu, ils auront généralement envie de revenir y travailler.
Quel est le profil type de vos bénévoles sur ce chantier participatif ?
Les bénévoles sont des personnes qui ont du temps à offrir.
Le profil type comprend souvent :
– des personnes retraitées (souvent avec des limites imposées par la complexité des travaux physiques),
– des jeunes (rarement au-dessus de 40 ans),
– des étudiants (qui n’ont pas forcément de véhicules pour venir).
Parmi eux, on trouve des artisans – qui aiment le travail des mains et qui ont l’habitude de manipuler la matière – et des personnes « de bureau », – qui veulent s’extraire de leur vie quotidienne pour se ressourcer dans un environnement naturel. Il est vrai que lorsqu’on découvre le site, c’est magique ! Il s’agit d’un cadre de nature extraordinaire !
Tous désirent acquérir des connaissances. Les bénévoles viennent certes pour le patrimoine, mais aussi pour apprendre quelque chose, une technique, un artisanat, une maitrise… et les encadrants peuvent leur apporter un peu de cela.
Par exemple, une personne est arrivée une fois sans savoir planter un clou. Elle avait « deux mains gauches et deux pieds gauches… » mais, maintenant elle s’en sort très bien !
L’avantage de notre château est que chacun peut choisir ce qu’il veut faire, en fonction de ses compétences, et peut voir le projet évoluer de semaines en semaines.
Vous avez des encadrants pour gérer les bénévoles. Quel est leur profil ? Comment faites-vous pour les convaincre ?
Il nous faut au moins un encadrant par week-end, si ce n’est plus, en fonction du nombre de personnes présentes et de la variété des chantiers menés en parallèle.
Ils sont primordiaux car sans eux un bénévole ne peut pas travailler. Et sans eux, les organisateurs ne peuvent pas gérer un chantier multitâche, car à chaque sollicitation, notre propre chantier (ainsi que nos bénévoles) ne peut continuer.
L’encadrant-type est « locomotive ».
C’est à dire qu’il est autonome : il peut gérer un groupe, former des gens…
Son niveau de compétence ne doit pas être forcément très important et il peut encadrer des tâches basiques telles que le débroussaillage. Nous le formons sur la sécurité et le maniement des outils, et il doit savoir transmettre cela aux autres.
Nous valorisons aussi les encadrants techniques (maçonnerie, charpenterie, menuiserie) pour les travaux plus complexes.
Néanmoins, la plupart des professionnels ont peu de temps à consacrer pour ce genre de projet.
Comment est-ce que vous organisez les chantiers au cours de l’année ?
L’organisation apporte la visibilité, et donc la fiabilité des ressources.
De manière générale, les bénévoles et les encadrants ont des contraintes, il faut donc tenter de bloquer des dates et s’y tenir.
Notre dilemme est d’essayer de trouver un équilibre entre deux approches :
– Organiser un événement tous les mois afin qu’il y ait du monde, sachant que les volontaires ne peuvent pas forcément venir pour une seule date dans le mois. Ils sont alors frustrés et il y a un potentiel d’effort de communication perdu.
– Organiser le plus d’évènements possibles, mais alors cela peut épuiser les bénévoles et créer un poids pour les encadrants, qu’il faut préserver.
Quels sont les outils pour communiquer avant le chantier et ceux pour organiser les taches pendant ?
Certaines personnes pouvant être désorientées avant l’évènement, nous communiquons sur Facebook les travaux de la prochaine journée. Généralement, ce ne sont que les nouveaux bénévoles qui lisent. L’information est toujours « doublée » pour rappeler la journée.
Puis, sur place, toute l’année, dès le matin, nous communiquons la vision globale de la planification du chantier.
Ce sont des gens de confiance et autonomes qui la font, afin d’accueillir en faisant visiter le château, de susciter l’intérêt chez le public, notamment les nouveaux bénévoles, et de leur communiquer des informations importantes concernant le déroulement de la journée.
Pour cela, on utilise un mode très graphique :
– Un tableau blanc avec les différentes zones du château, la composition des groupes de travail (coupe des arbres délicats, accommodations des bénévoles, débroussaillage, bûcherons spécialisés, électriciens, plombiers…). On écrit les zones où l’on a avancé et où le chantier est terminé. Aujourd’hui, on ne permet qu’aux encadrants de lancer de nouveaux chantiers en autonomie.
– Un tableau pour les consignes et les messages pour que les encadrants et les bénévoles qui ne sont pas là une semaine sur deux, puissent communiquer entre eux.
– Un autre pour les priorités, et les avancements.
Pour suivre les chantiers après les journées, la communication envers les encadrants est essentielle. Pour celle-ci, nous communiquons par Facebook et par mail.
Quelle est la journée type d’un chantier, heure par heure ?
Exemple d’une journée type, heure par heure.
Nota bene : il est nécessaire que tout le monde travaille et se repose en même temps :
Comment faites-vous pour assurer la sécurité ?
Lors de l’accueil des nouveaux bénévoles, nous axons en priorité la communication autour de la formation sur la sécurité (ne pas se balader là où le chantier n’a pas été sécurisé), les gestes à ne pas commettre, etc. Puis autour des assurances : dans tous les cas les gens qui participent aux chantiers sont couverts, qu’ils soient membres de l’association ou simples bénévoles.
Il y a trois assurances qui peuvent couvrir les risques encourus :
– celle de responsabilité civile du château,
– celle de l’association,
– et celle des visiteurs (notamment « accident de la vie », qu’il doit souscrire au titre de sa vie privée mais qui n’est pas obligatoire).
Le choix des assurances est à définir en fonction des deux possibles statuts existants pour un bénévole.
– Soit, il doit être membre de l’association et il est couvert par les assurances de l’association.
– Soit il est simple bénévole, et il signe une convention de travail bénévole où il s’engage notamment à respecter le lieu et les consignes qui lui sont données.
Organisez-vous les repas et les nuitées ?
L’organisation des repas nécessite une charge supplémentaire, et un coût, d’autant plus les venues sont très aléatoires.
Chacun apporte donc son ravitaillement sachant que, à Châteauneuf-sur-Epte, il n’y a ni eau, ni électricité, ni chauffage.
Pour dormir, chacun prend sa tente et son sac de couchage.
Comment vous situez-vous par rapport à Rempart, qui rassemble des associations de chantiers participatifs autour du patrimoine d’exception ?
Nous y sommes affiliés à Rempart depuis peu. L’idée ici est de fidéliser aussi les bénévoles sur la durée.
Les chantiers de type Rempart sont particulièrement intéressants lorsqu’il y a un encadrant sur la durée, ce qui favorise un excellent apprentissage (technique, architecture…) sur le long terme.
Où trouvez-vous votre motivation pour réaliser ce projet ?
La motivation se trouve principalement dans l’amour du patrimoine et du lieu !
Lorsqu’on accompagne un projet qui avance lentement, avec tous les obstacles que l’on peut rencontrer, il faut s’accrocher ! Par ailleurs, s’entourer d’autres personnes avec qui vivre l’aventure est primordial !
Néanmoins, il est difficile de trouver des bénévoles lorsque l’on n’est pas connu, de même que pour le crowdfunding.
Par exemple, en termes de dons, nous avons rassemblé environ entre 8 000 et 10 000€ par an, grâce à l’association et aux particuliers, qui sont alors de véritables passionnés.
Nous avons réalisé une campagne sur les réseaux sociaux afin de récolter 20 000€ pour la fin de l’année et toucher un grand nombre de personnes dans le secteur du patrimoine mais nous avons reçu peu de résultats. Comme les chantiers, le crowdfunding est un véritable métier, et ce n’est pas facile même pour ceux qui ont déjà un réseau comme Dartagnans ou Adopte un château.
Affaire à suivre, donc !
Pour aller plus loin :
– Participer au chantier de Châteauneuf-sur-Epte
– Association Rempart