La photographie au service des châteaux

La photographie au service des châteaux. Hephata a interrogé Didier Saulnier et Thomas Garnier, des photographes qui rendent hommage aux monuments.

L’important à retenir dans cet article :

 La mise en valeur du patrimoine, c’est aussi une question de « point de vues ». A ce sujet, les photographes jouent un rôle particulièrement important pour rendre hommage aux monuments, leurs jardins et leurs occupants.

A l’occasion de la sortie de l’ouvrage « Les Paradis Secrets de Marie-Antoinette », paru le 2 novembre 2017 en co-édition Albin Michel / château de Versailles – un ouvrage de photographies sur le Hameau de la Reine et le Petit Trianon à Versailles, nous avons interrogé Didier Saulnier et Thomas Garnier. Les 4 photographes du domaine comptent aussi Christophe Fouin et Christian Millet, co-auteurs de l’ouvrage. Ils mettent la photographie au service des châteaux.

Avant d’arriver au château de Versailles, quels parcours avez-vous choisis ?

Didier Saulnier : J’ai un parcours atypique pour un photographe de Versailles : en effet, j’ai commencé en 1979 au Sri Lanka et j’ai ensuite été photographe de presse. J’ai donc été en free-lance quasiment toute ma vie, prenant mes propres décisions pour construire les images.
A une certaine période, le monde a commencé à changer. Et celui que nous connaissions s’est en quelque sorte « terminé » avec la numérisation. Il a fallu trouver une jolie voie pour continuer, et celle-ci a été Versailles.

Thomas Garnier : J’ai commencé au château de Versailles en 2008 en tant que médiateur culturel pendant 3 ans, puis j’ai effectué un Mastère de management dans la culture, l’art et le patrimoine, avec option dans le numérique (graphisme…). Cette formation était donc assez transversale, située entre l’art et la communication.
Je suis ensuite revenu au château en 2011 en tant que photographe et chef de projet audiovisuel, et à présent s’est ajoutée également la fonction de Community Manager.

Quelle est votre façon de travailler autour du château de Versailles, et plus particulièrement dans le cadre de votre ouvrage ?

D. S. : Aujourd’hui, je travaille au sein de la direction de l’information et de la communication du château de Versailles.

Cela demande une implication quotidienne étant donnée la permanence des évènements, des chantiers, des actualités, des personnalités qui s’y rendent… J’y ai vécu des rencontres étonnantes comme avec Bernard Arnault en 2013, ou encore Pierce Brosnan pour une interview réalisée avec l’un de mes collègues !
En parallèle de l’actualité, il y a des travaux de plus longue haleine à suivre. Par exemple, en ce moment, le chantier sur la Chapelle Royale me sollicite beaucoup.

T. G. : De mon côté, je réalise des photographies en début de semaine, où j’effectue des reportages le lundi, jour de fermeture du Château. Le reste de la semaine, je m’occupe d’autres projets au sein du service du développement numérique, par exemple la création de supports audiovisuels, des expériences de réalité virtuelle…

D’une manière générale, il s’agit souvent de photographies « de commande », bien que je puisse avoir des occasions et du temps pour faire d’autres belles photos et de proposer de nouvelles idées créatives.

Dans le cadre du livre « Les Paradis Secrets de Marie-Antoinette » – qui est la suite du premier (« Le Château de Versailles vu par ses photographes ») – nous avions pour but de mettre en valeur des éléments un peu particuliers…

Nous avons voulu montrer « ce que nous ne voyions pas », « ouvrir les portes fermées »… En quelque sorte, faire partager au plus grand nombre le privilège d’être photographe au château, avec l’accès à tous ses secrets et tous les mystères de l’architecture de Versailles.

Nous avions le désir de faire découvrir un point de vue historique, une passion pour le lieu et la photographie. Ce travail fut une belle émulation créative entre nous, chacun avec son œil différent parmi les photographes du château de Versailles.

Photographier des châteaux, c’est un métier particulier… Quelles sont les raisons de votre choix ? Et du choix de Versailles en particulier ?

D. S. : Je souhaitais enrichir mes travaux à côté de la presse et le château de Versailles m’en a donné une belle occasion. Travailler dans un tel endroit est une chance inouïe !

T. G. : En premier lieu, j’aime ce château… ! Versailles a une particularité. C’est un lieu qui s’appréhende à la fois dans l’infiniment grand et à la fois dans l’infiniment petit. Par exemple, nous pouvons observer la galerie des Glaces dans son ensemble mais le moindre détail est travaillé : il n’y a pas de faux semblant !

A Versailles, tout est quasiment parfait. Pour nous, photographes, c’est une source inépuisable de travail car nous trouvons toujours quelque chose à renouveler. 
Dans le livre, c’est exactement ce que nous avons pu pointer : les détails que les visiteurs ne voient pas. Il s’agit d’une relation privilégiée avec les œuvres, et le fait de s’imprégner du travail du sculpteur, de l’ébéniste, du peintre…

Qu’est-ce que la photographie vous inspire ? Quel est votre regard sur le château… ?

D. S. : Il est difficile de répondre, le domaine étant tellement vaste entre les jardins, les bosquets, le parc, le château…

C’est un site que j’affectionne particulièrement depuis toujours : tout petit déjà je m’y baladais avec ma grand mère, je faisais des compétitions de vélos de 7km autour du canal, j’y rencontrais mes premiers amours… Aujourd’hui j’habite à côté !

Ayant longtemps travaillé en Asie, je trouvais cela important de revenir en France à un moment de ma vie : c’était là l’occasion de retrouver mes racines, d’avoir un retour aux sources de mon enfance. La boucle est à présent bouclée !

T. G. : Je pense que je m’attache très particulièrement aux détails : ce que je préfère, c’est mettre en valeur les choses.

J’apprécie également rendre hommage à toutes ces personnes qui ont rendu son image au château, sa perfection : les conservateurs, les restaurateurs, la mise en scène, l’éclairage…

Ce lieu ne laisse pas vraiment de place à l’approximation, nous devons être efficaces, et être précis dans nos photographies.

Quel temps cela prend-il de faire de « bonnes photographies » ? Et d’en constituer un recueil ?

D. S. : J’en prends tous les jours mais cela a pris plus de temps pour le livre que nous avons publié, « Les Paradis secrets de Marie-Antoinette ». Le premier ouvrage de la série, « Le château de Versailles vu par ses photographes » est principalement centré sur le château, celui sur Marie Antoinette – il est magnifique – a demandé un travail de recherche plus important.

Dans ce projet, il y avait la façon habituelle de chacun, pour travailler les images. Christian Millet, au service de Versailles depuis 39 ans, connaissait parfaitement toutes les photographies possibles du château ou presque. 

Nous devions alors compléter et ajuster au mieux les photos pour le livre, sachant qu’il est difficile de faire des choix : les images doivent « se parler », être homogènes entre elles (au niveau des couleurs, des lumières…). Nicolas de Cointet était le chef d’orchestre, pour nous faire jouer, nous, les quatre photographes du livre !

T. G. : Pour le livre, nous avons d’abord été chercher dans nos albums personnels. Par exemple, certaines photographies montrent de la neige à Versailles alors que cela faisait 5 ans qu’il n’avait pas neigé…

Chacun de nous a accumulé des visuels, nous avons procédé à des recherches dans nos archives récentes. Ensuite, il nous a fallu 4 à 5 mois pour ajouter le reste des clichés, et obtenir la cohérence : une vraie visite du château pour le spectateur.

Quels sont vos projets futurs en terme de patrimoine ?

D. S. : Je vais rester au château de Versailles, car il y a tellement de choses à y voir qu’une vie n’y suffirait pas ! Tout change en permanence : la lumière, les saisons, les œuvres, les restaurations…

Par exemple, en me promenant petit avec ma grand mère dans le parc, les statues magnifiques que nous pouvons voir aujourd’hui n’étaient pas du tout entretenues, il y avait de la mousse, du lichen… Aujourd’hui, ce parc statuaire est sûrement l’un des plus grands au monde et n’a pas d’équivalent.
A ce sujet, la politique de restauration est vraiment intéressante : les statues les plus dégradées sont restaurées puis mises à l’abri et des copies sont installées à leur place. Nous y voyons tous les détails avec une précision de 5 microns, c’est incroyable.

T. G. : Je reste à Versailles ! Quoique l’un de mes projets serait de l’aborder par le ciel. J’ai récemment obtenu une licence de pilote pour pouvoir réaliser des vues aériennes du château par drone.
C’est intéressant car ce lieu est conçu pour être vu du ciel : au niveau de ses perspectives, de ses jardins… il y a une véritable correspondance aérienne.

Néanmoins, il est difficile de « créer du nouveau » en terme de photographies à Versailles : tout ou presque, a déjà été réalisé par les prédécesseurs et les visiteurs. Notre travail nécessite donc une vraie humilité. Nous trouvons beaucoup d’éléments dans les archives, la créativité se rejoint partout, mais il sera peut être possible de créer des choses différentes grâce aux nouvelles technologies. Qui sait ?

Que cherchez-vous à communiquer du patrimoine dans vos photos ?

D. S. : Cela dépend pour qui nous les prenons. Pour les conservateurs qui nous sollicitent, nous cherchons d’abord à rendre visibles un maximum de détails. La photographie doit être la plus nette et la plus éclairée possible. C’est souvent difficile avec le soleil, il faut que ce soit ni trop sombre ni trop clair…

Pour la communication et la presse, des images fortes, dynamiques, qui flashent sont nécessaires. Il y a certains codes évidents : par exemple pour les magazines, toujours décentrer le sujet du bon côté. Il ne doit jamais être au milieu. Mais aussi penser à la largeur de l’image, les endroits d’insertion du texte et du chapeau…
Ce sont des détails propres à chaque situation qui sont primordiaux.

T. G. : Chaque photographie a un message différent. Pour ce livre, le Petit Trianon, par exemple, arrive à faire sentir l’intimité, à entrer dans le domaine privé des personnages et à mieux imaginer qui ils étaient à leur époque.

Avez-vous d’autres exemples en terme de patrimoine ?

D. S. : J’ai travaillé pour les éditions Flohic, sur le patrimoine des communes de France, qu’il soit religieux, militaire, agricole…C’était des ouvrages collectifs, deux tomes de plusieurs centaines de pages, sur des châteaux, des abbayes… Et cela dans de nombreux endroits magnifiques : la Sartre, l’Essonne, la Garonne, le Maine et Loire…

Mon plus beau souvenir a été le château de Saumur, car j’ai pu prendre des photos en paramoteur (parapente à moteur), avec un vol en basse altitude. Le moment a été tout simplement magique.

T. G. : En tant que simple visiteur, j’ai parcouru de nombreux châteaux.
En tant que professionnel, j’ai déjà travaillé à Fontainebleau ; mais aussi dans divers endroits dans le cadre de Versailles, pour des expositions extérieures : Rambouillet, le Château d’Angers, l’Hermitage…

Quels autres photographes de monuments ont réussi à transmettre quelque chose de particulier ?

D. S. : Il y en a énormément. Ce qui me marque chez les photographes c’est surtout la puissance des images. Les premiers noms qui me viennent à l’esprit sont Philippe Baudille qui travaille beaucoup sur les châteaux de la Loire mais aussi Jean-Baptiste Le Roux, qui photographie entre autre Versailles.

T. G. : Mes collègues de Versailles évidemment !

Si vous deviez donner des techniques aux propriétaires qui cherchent à prendre de belles photos (mis à part vous contacter !) quels conseils leur donneriez-vous ?

D. S. : D’après moi, les bons « trucs » seraient :
– Cadrer correctement le sujet, sachant que le cadrage dépend de ce que chacun souhaite donner comme image,
– tourner autour du sujet, y revenir plusieurs fois et à différents moments de la journée,
– prendre la « belle lumière », soit tôt le matin ou tard le soir de préférence,
– faire très attention à la balance automatique des blancs sur un appareil photo !
– Etre vigilant à la définition (petite, moyenne, large) avec le conseil se mettre plutôt « au large » avec un maximum de pixels,
– c’est mieux d’avoir un pied pour construire la photo et ainsi qu’elle soit bien définie,
– éviter de laisser le stabilisateur optique, surtout pour les pauses longues,
– et enfin, prendre son temps !

T. G. : Pour moi :
– En priorité, il faut acheter un pied pour pouvoir faire des photos en pose des intérieurs. Cela est impossible sans, il n’y aura pas de qualité. 
– Acheter des objectifs, et pourquoi pas un drone !

Il est aussi pratique de savoir faire des retouches sur Photoshop, pour obtenir exactement ce que nous voulons. Il est possible pour cela de regarder des tutos sur Youtube, ainsi tout le monde peut l’effectuer.

Est-ce que vous exposez ?

D. S. : Je ne suis pas très demandeur car cela prend beaucoup de temps. Mes plus belles expositions sont mes photographies dans les magazines.
Une image dont je suis fier est celle d’Agnès B. au château de Versailles (dans le magazine éponyme), où elle raconte ses souvenirs du lieu.

T. G. : Nous avons exposé notre travail il y a un an dans le domaine de Marly-le-Roi, tous les quatre. Sinon, nous nous voyons davantage dans les nombreuses éditions du château de Versailles, ou bien dans la presse et les campagnes d’affichages du métro, puisque nous sommes dans la communication.

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